Dernier jour, déjà ...
je n'ai pas eu le courage de poser ces lignes sur mon carnet. Je ne les livre qu'aujourd'hui, un mois plus tard. Ce matin , j'ai du mal à me lever. Je veux encore profiter au maximum de la ville, mais mon corps en a assez et s'accroche désespérément aux draps.
Je rassemble mes affaires en silence, pour ne pas réveiller le couple de brésiliens. Je traine des pieds. Le petit déjeuner est pris le cœur gros. Angus, en tenue de cuisto (c'est lui qui prépare les petits-déjeuners...) fume une cigarette dans le couloir et fait briller ses yeux une dernière fois.
Au revoir Angus, arrividecchi The Yellow, ce n'est pas un adieu, rendez-vous dans cinq ans !
Je laisse ma valise à la consigne et entreprend mon dernier pèlerinage, vers la Cité du Vatican. Je prends le métro où une foule de pieux visiteurs de toutes nationalités m'attend en nombre. On se croirait à Babel ... ou dans un souk ... ou non, dans un supermarché en période de soldes ... non je sais ! Comme dans la file d'attente d'un parc d'attraction ...
Les rames romaines sont modernes, propres, automatisées, bien éclairées, rassurantes. Ce qui n'empêche pas d'assister à l'étrange manège d'escadrons de bohémiennes : par formation de trois ou quatre petites jeunes-femmes au teint halé, les seules à porter de longues jupes à lourds pans, enfants en bandoulière, elles dissimulent leurs mains en scrutant d'un œil tout aussi agile les bagages des passagers comprimés les uns aux autres.
Tout ce beau monde s'arrête à la station Ottaviano "San Petro".
La voie est large, et on observe déjà les hauts murs de brique du Vatican. Malgré la foule, le calme règne. Comme si le vœu de silence était respecté par tous, même le vent. La file d'attente pour le musée du Vatican est monstrueuse, délirante ... cela se compte en kilomètres ... Je n'avais pas prévu d'y entrer de toute manière, ayant déjà gouté au privilège d'une visite mémorable il y a cinq ans. Je franchis la Porta Angelica et me retrouve Piazza San Pietro. C'est la colonnade qui retient le plus mon attention. Sachant la basilique inatteignable (là aussi une marée humaine s'y pressait) j'ai détourné mes yeux pour ne pas rendre plus grande encore ma frustration. Je ne reste pas très longtemps sur la place, visite une ou deux échoppes de souvenirs en me moquant bêtement des effigies du Pape sur les tasses ou autres bricoles.
Je suis remontée, j'endève de passer à coté de ma visite ! Mais je n'en peux plus !! Mon éponge est engorgée, je ne peux plus rien absorber... Je tourne le dos à l'obélisque et me dirige vers le Tibre, par la Via della Concialiazione.
... un pont ....
Les sculptures seraient-elles du Bernin ? Non, elles sont sur le pont d'à coté.
Les sculptures seraient-elles du Bernin ? Non, elles sont sur le pont d'à coté.
Le Pont Saint Ange
Vue « carte postale » du Castel Sant'Angelo. Il serait bon que j'en saches un peu plus sur cet édifice (pourquoi a-t-il cette forme circulaire incongrue pour commencer ?). J'arrive sur le Pont Saint Ange, et là commence un sublime Calvaire :
De part et d'autre du Ponte Sant'Angelo, à un rythme régulier, s'élèvent des statues monumentales en marbre qui représentent les Anges portants les Arma Christi (instruments de la Passion). C'est donc un véritable chemin de croix que j'entreprends les yeux rivés au ciel (en effet les sculptures sont monumentales, il faut lever haut la tête pour les détailler).
* Ange au fouet de Lazzaro Morelli, avec l'inscription
« je suis prêt au châtiment » (« in flagella paratus sum »)
* Ange à la couronne d'épines, copie du Bernin par Paolo Naldini, avec l'inscription « dans mon angoisse, tandis que l'épine s'enfonce » (« in aerumna mea dum configitur spina »)
* Ange portant le voile de Sainte Véronique de Cosimo Fancelli, avec l'inscription « regarde la face de ton Oint » (« respice faciem Christi tui »)
* Ange portant un vêtement et des dés de Paolo Naldini, avec l'inscription
« ils tirent au sort ma tunique » (« super vestimentum meum miserunt sortem »)
* Ange portant des clous de Girolamo Lucenti, avec l'inscription « ils tourneront les regards vers moi, celui qu'ils ont percé » (« aspicient ad me quem confixerunt »)
* Ange à la croix d'Ercole Ferrata, avec l'inscription « l'insigne du pouvoir est sur son épaule » (« cujus principatus super humerum eius »)
* Ange portant le titulus INRI, copie du Bernin et de son fils Paolo par Giulio Cartari, avec l'inscription « Dieu a régné par le bois [de la croix] » (« regnavit a ligno deus »)
* Ange à l'éponge de vinaigre d'Antonio Giorgetti, avec l'inscription
« ils m'abreuvent de vinaigre » (« potaverunt me aceto »)
* Ange à la lance de Domenico Guidi, avec l'inscription
« tu as blessé mon cœur » (« vulnerasti cor meum »)
Les sculptures sont inégales, mais tout de même de grande qualité. Il me semble qu'elle ne sont pas toutes du Bernin (vérification faite, aucune d'entre-elle n'est de la main du maître, mais certaines sont des copies, et d'autres tirées de ses dessins préparatoires). Je m'arrête, extatique, devant l'ange portant la croix, l'ange à la lance, l'ange au titulus ... Ce dernier est extraordinaire ! Il rit ! Il est la Passion. La sculpture est imposante, mais les traits et les drapés sont amples, mouvants, vivants, malgré l'épaisseur de la pierre. Le blanc du marbre est exalté par le contraste du ciel d'un bleu jamais vu. C'est de toute beauté ! Et aveuglant. Je perds une nouvelle fois le nord.
Je fais demi-tour et entre à nouveau dans le quartier Navona.
Je traine, je n'ai plus envie de savoir ce qu'il a de remarquable autour de moi, je manque délibérément de hauts lieux touristiques, car de toute manière je ne pourrais tout voir de Rome, alors un de moins dans la liste passera inaperçu.
Boudeuse, j'avance tout de même sur la Piazza Navona, observant plutôt les dessinateurs ambulant et les musiciens que les glorieuses fontaines du Bernin.
Vous m'emmerdez à être trop beaux, trop blancs, marre des hauteurs, je suis fatiguée d'avoir le vertige ...
(détail) Fontaine de Nepture, de Gregorio Zappalà e Antonio Della Bitta - Piazza Navona